« Trois revenus avec un petit troupeau de 47 laitières »
Installation. En rejoignant l’AOP laguiole puis en transformant une partie du lait à la ferme, Jean-Claude et Marie-Paule Guigon ont redressé la barre et réussi à intégrer leur fils Jean-Baptiste dans le Gaec.
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C’est l’appellation laguiole qui nous a sauvés ! En 2009, lorsque nous avons vu le prix du lait standard descendre à 220 €/1000 l, nous avons décidé de la rejoindre. En montagne, sur une exploitation de 67 ha, nous n’avions aucune chance de nous en sortir en jouant sur les volumes pour diluer les coûts », racontent Jean-Claude et Marie-Paule Guigon, éleveurs en Gaec à Saint-Germain-du-Teil, en Lozère.
Leur commune faisait partie de l’aire de cette appellation. « Avec des voisins intéressés eux aussi, nous avons contacté la coopérative Jeune Montagne, basée à Laguiole, dans l’Aveyron. Elle a accepté de venir collecter notre lait à partir de 2015. » Afin de respecter le cahier des charges de l’AOP, il leur a fallu changer radicalement de façon de travailler (encadré ci-contre) en abandonnant l’ensilage et le zéro-pâturage. Des simmentals ont remplacé progressivement les brunes. « Cela nous paraissait long de devoir attendre 2015 avant de bénéficier des prix de l’appellation. Mais il nous a fallu tout ce temps pour être prêts » , note Marie-Paule.
Une situation plus solide en appellation
En 2009, alors qu’ils venaient d’investir 120 000 € dans une nouvelle stabulation aux normes, ils dégageaient un excédent brut d’exploitation (EBE) qui couvrait tout juste les annuités. En 2015, avec un prix moyen du lait à 541 €/1000 l, ils ont retrouvé un meilleur équilibre économique et gagné en visibilité. « La coopérative a des débouchés solides. Depuis 2015, le prix de base de notre lait augmente légèrement chaque année », apprécie Jean-Claude. Cette évolution a rassuré leur fils Jean-Baptiste, qui travaillait comme chauffeur dans une Cuma tout en espérant pouvoir s’installer à terme avec ses parents.
Mais même en appellation, il n’était pas possible de dégager un troisième revenu sur leur petite structure. Le cahier des charges de l’AOP limite en effet la production à 6 000 l par vache. Compte tenu de l’obligation de produire l’essentiel des fourrages sur place, il n’est pas possible d’augmenter l’effectif sans accroître la surface. « Il aurait fallu pouvoir s’agrandir, mais dans notre zone, il n’y a pas de foncier qui se libère », observe Jean-Baptiste.
Investir pour transformer à la ferme
C’est finalement la transformation d’une partie du lait à la ferme qui a débloqué la situation. « Durant l’été 2016, nous avons transhumé sur le plateau de l’Aubrac pour traire là-haut et livrer le lait à un fromager qui le transformait sur place. Cela m’a donné envie de me lancer dans la fabrication », explique Jean-Claude. Tout s’est alors enchaîné rapidement. La coopérative a accepté sans difficulté de les laisser transformer une partie de leur lait en laguiole fermier. « C’est une façon complémentaire de développer la notoriété de l’appellation », note Marie-Paule. En 2017, Jean-Claude a suivi deux formations à l’Enilv d’Aurillac, dans le Cantal. En mai de cette année-là, Jean-Baptiste s’est installé au sein du Gaec. La construction de la fromagerie a démarré en décembre, et en juin 2018 ils ont pu réaliser leurs premières fabrications.
Pour construire un bâtiment de 80 mètres carrés abritant une fromagerie, une cave d’affinage et une boutique, les trois associés ont investi 150 000 € dont un tiers couvert par des aides. « J’ai également bénéficié d’une dotation jeunes agriculteurs de près de 30 000 € et d’une petite aide complémentaire de la coopérative », apprécie Jean-Baptiste, qui a alors quitté son emploi à la Cuma.
Aujourd’hui, avec la transformation et la vente en plus, il y a du travail pour trois à la ferme du Teil. « Les lundis, mardis et mercredis, nous transformons le lait du matin tant qu’il est encore chaud. En évitant de le refroidir, la flore naturelle est mieux préservée », note Jean-Claude. Leurs fromages ont ainsi une large palette d’arômes. En fonction des volumes du jour, ils fabriquent une ou deux fourmes de laguiole de 25 kg. « En complément, nous élaborons une fourme du Teil hors appellation. Son poids peut varier, ce qui nous permet de transformer tout le lait restant », précise l’éleveur. En moyenne, il faut 9 litres de lait pour obtenir un kilo de fromage.
De bons prix de vente
« La fourme du Teil est affinée seulement deux mois. En AOP laguiole, nous proposons une fourme de six mois et une autre de douze mois », précise Marie-Paule.
Pour démarrer les ventes, les associés se sont appuyés sur leur réseau familial. « Nous avons aussi été référencés rapidement par l’office du tourisme local, qui nous a intégrés sur sa carte des sites à découvrir. Cela nous a bien aidés », note l’éleveuse. Des clients les ont également contactés d’eux-mêmes quand ils ont su qu’ils produisaient du laguiole. « Dans l’appellation, il n’y a que quelques producteurs fermiers », relève Marie-Paule. Pour autant, vendre n’est pas toujours facile.
« Au début du premier confinement, nous n’avons pas vu un seul client durant deux à trois semaines alors que la cave était pleine. Là, nous avons stressé ! » se souvient-elle. Heureusement, la forte présence des touristes l’été leur a permis de se rattraper, en 2020 comme en 2021. « Avec des fromages de garde que nous pouvons affiner sur une durée plus ou moins longue, nous avons de la souplesse pour vendre », note Jean-Claude.
Leur gamme centrée sur les fourmes est courte mais différente de celle des autres fromagers fermiers de Lozère, ce qui limite la concurrence. « Nous réalisons 60 % des ventes à la ferme, et le reste auprès de restaurateurs, de crémiers, d’épiceries et de boutiques de produits locaux », détaille Marie-Paule.
À la ferme, la fourme du Teil est vendue à 16,50 €/kg, le laguiole AOP de 6 mois à 17,50 €/kg et celui de 12 mois à 18,50 €/kg. Les tarifs pour les revendeurs sont moins élevés afin qu’ils puissent dégager une marge tout en proposant des fromages à un prix qui reste accessible pour les consommateurs. « En moyenne, nous valorisons le kilo de fromage à 15 € », précise l’éleveuse. En 2020, avec 23 260 l transformés à la ferme, l’EBE a grimpé à 85 000 €, ce qui leur a permis d’assurer trois revenus. En 2021, ils ont transformé 35 000 l. Mais avec du foin de moins bonne qualité, la production par vache est descendue à 5500 l. « Tout faner au bon stade n’est pas évident chaque année. En 2021, cela a été très compliqué ! » relève Jean-Baptiste.
Un séchage en grange pour 2022
En 2022, grâce au séchage en grange qui devrait être bientôt achevé, ils espèrent remonter à 5900 l par vache tout en récoltant plus sereinement. « C’est un équipement indispensable pour régulariser la qualité du foin en même temps que la production de lait », note Jean-Claude.
Le séchage devrait également leur permettre de réduire la quantité de concentré distribuée. « Nous avions prévu cet investissement dès notre passage en appellation. Mais nous avons dû attendre d’avoir fini de rembourser plusieurs prêts afin de ne pas augmenter les annuités et de conserver un revenu. »
Entre le séchage en grange et l’isolation de la stabulation, nécessaire pour limiter la température en été, ils viennent d’investir 300 000 € dont 88 000 € couverts par des aides. « Nous avons retrouvé des capacités d’investissement, c’est positif. Et la banque nous suit sans difficultés depuis que nous avons intégré la coopérative Jeune Montagne », observe Marie-Paule.
De son côté, Jean-Baptiste est heureux de s’être installé. « Pour l’instant, je ne gagne pas plus que lorsque j’étais salarié. Mais j’ai plus de souplesse dans les horaires et je participe aux décisions », note-t-il. Au-delà de l’aspect économique, les trois associés apprécient de savoir ce que devient leur lait, qu’il soit transformé à la ferme ou à la coopérative. « Nous avons de bons retours des consommateurs, c’est motivant », apprécie Jean-Claude. Et ils se sentent rassurés d’avoir rejoint une vraie coopérative où tous se connaissent et ont envie d’aller de l’avant collectivement.
Frédérique EhrhardPour accéder à l'ensembles nos offres :